Parc du Louvre Lens
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© Philippe Fruitier

Contrôle, temps et apprentissage dans le design pour et avec les vivants par Catherine Mosbach




La paysagiste Catherine Mosbach parle de contrôle, temps et apprentissage quand il s’agit de design pour et avec les vivants dans un récent entretien publié dans le magazine australien Foreground

Nous avons sélectionné et traduit quelques extraits:

Contrôle

Le contrôle est lié à la façon dont nous engageons le dialogue avec un site, un programme et notre sensibilité. Mais le terme n’est pas le mieux adapté pour décrire le processus – utilisons le mot design

Le paysage – comme un corps animal ou végétal – est en constante évolution. Donc, penser à un «lieu» présent et fixe est une façon assez étrange de traduire notre position sur la terre. Pour établir un dialogue entre ce que vous savez et ce que vous ne savez pas, vous devez introduire certaines conditions ou règles. La langue sert justement à cela. Nous ne pouvons pas parler ensemble sans alphabet et sans règles, mais cela ne signifie pas que le «texte» de notre conversation est verrouillé ou prédéterminé. Le design est un langage et il doit être en dialogue permanent – dans le projet de paysage – avec les événements de la vie. Le contrôle est un «outil» faisant partie de cette langue.

[…]

Pour moi dans le paysage – comme dans la vie – une «pièce» ou un projet a de nombreuses fonctions et pas une seule. Bien sûr, en particulier pour le paysage, les fonctions doivent déjà tenir compte des changements de saison et des délais de croissance plus longs. Quand je rencontre des gens d’âges et de cultures différents, je suis inspirée et j’imagine le grand public, animaux compris. C’est un grand cadeau d’avoir l’occasion de s’imaginer autre, mais c’est le cas de tout travail artistique qui rencontre un public. C’est le but d’un espace public: rassembler de nombreux types de vie de manière à engager notre créativité et notre humanité. Mais un dialogue ne signifie pas parler au-dessus de l’autre, de celui qui t’accueille. L’origine et le point d’une conversation sont perdus si les voix se chevauchent et se font concurrence. Le design est comme une introduction, l’ouverture d’un film en évolution où de nombreuses vies – animaux, végétation, humains – joueront des rôles ensemble après avoir été introduits.

[…]

Aujourd’hui, un mouvement dominant dans les grandes villes et dans nombreux pays, consiste à demander à tous les habitants d’exprimer leurs idées pour contribuer au programme – c’est-à-dire la prise de décision démocratique directe. Je suis totalement en désaccord avec ceci. Cela suppose qu’il n’est pas nécessaire d’avoir de l’expérience et des connaissances pour prendre des décisions. Cela suppose que tout le monde peut également lire et étudier tous les paramètres d’un problème; que tout le monde peut le faire. C’est une fiction totale. Cela arrive en fait lorsque personne ne veut assumer la responsabilité d’une direction. C’est une façon de dire que l’expertise n’est pas valable et que chacun a une opinion tout aussi légitime. Le résultat de cela est ce que nous pouvons voir sur les réseaux sociaux et dans la fragilité de la démocratie.

Liberté, Egalité, Fraternité était un appel à contrôler la sauvagerie humaine et à ouvrir un dialogue pour rassembler les individus et les communautés afin de prendre des décisions qui nous concernent tous. Aujourd’hui, nous devons faire cela avec les autres espèces aussi bien que les uns avec les autres. Voilà le grand défi.

Temps

Le  temps est le point clé du paysage. […] nous devons comprendre les processus les plus importants de l’évolution de notre environnement pour anticiper les étapes suivantes. Mais nous ne pouvons pas tout prévoir. Laisser le système ouvert est un moyen flexible d’accepter des événements inattendus, bien que si nous laissons le travail complètement ouvert à un phénomène inattendu, sans script, nous n’avons en fait aucun projet et aucune écriture ou traduction sensible. C’est la limite de l’écologie: essayer seulement de reproduire ce qui, par définition, est toujours en cours.

Apprentissage

Ma formation en biologie, physique et chimie couvre les paramètres de la vie sur terre. Depuis que j’ai développée Pages Paysages, j’ai rencontré de nombreuses personnes inspirantes qui nourrissent ma curiosité. Dans la culture occidentale, nous sommes habitués à voir et à évaluer uniquement les résultats des enquêtes comme des conclusions fixes. Mais dans les cultures asiatiques, ce que nous voyons n’est jamais une fin, juste un passage à travers différentes étapes. Cela signifie que pour créer un processus de vie, vous devez comprendre d’où vient le résultat, afin que vous puissiez l’évaluer.

[…]

Pour faire de interpréter, lire [le paysage], vous devez adopter la position d’un spectateur extérieur. Comme un photographe ou un cinéaste. Cela vous donne le pouvoir de la traduction. Sinon, vous ne pouvez pas proposer de script. Mais alors, oui, pour moi le paysage est puissant quand on est submergé, on devient comme un phasme, on n’est plus dominant, on est juste une petite partie d’un ensemble – ce que nous en sommes d’ailleurs! Nous ne représentons rien dans la chronologie et la connaissance de l’astronomie, juste un accident ou un projet lié à l’interprétation que nous donnons à un composant. Victor Hugo l’explique très bien dans son travail écrit et ses dessins. Nous retournons tous aux étoiles, nous devons donc nous entraîner au préalable – une expérience submersive pour ne pas être surpris.
© mosbach paysagistes


Catherine Mosbach est la fondatrice de l’agence  Mosbach paysagistes, qu’elle a créée en 1987. Elle est aussi cofondatrice, avec Marc Claramunt, Pascale Jacotot et Vincent Tricaud, de la revue Pages Paysages. Catherine Mosbach est diplômée de l’ École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles en 1986 après des études en sciences à l’Université Louis Pasteur Strasbourg. Elle est réputée pour son travail socialement et écologiquement responsable, impliquant la prise en compte de la temporalité et du changement continu des paysages.


voir aussi 

l’enregistrement de sa conférence Of Passage donnée le 10/12/2018 au CIVA Bruxelles 

l’entretien Design de la biosphère publié initialement novembre 2017 dans la revue Stream 04



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