“Market Street Walk,” San Francisco. Experiments in Environment Workshop, July 8, 1966. Photo by Joe Ehreth.
“Driftwood Village—Community,” Sea Ranch, California. Experiments in Environment Workshop, July 6, 1968

The Halprin Workshops, 1966-71



Anna Halprin (1920-) est chorégraphe avant-gardiste et thérapeute expérimentale du corps, Lawrence Halprin (1916-2009) est paysagiste et architecte de jardins.
L'interdisciplinarité commence là, dans la difficulté de séparer et d'identifier les activités de l'un et de l'autre, qui d'ailleurs conçoivent leur pratique commune, dans les années 1960, en lui donnant un nom : RSVP (!). Soit: Resources, Scores, Valuaction, Performance: une pédagogie "situationnelle" où on fait l'inventaire des matériaux à disposition, puis l'expérience de la situation, puis on évalue ce qui s'est passé. 

Le projet d'Anna s'immisce d'emblée dans celui de Lawrence : il s'agit, toutes ces années durant, de conduire une série de workshops expérimentaux adressés à des danseuses et des danseurs, des architectes, des paysagistes, des artistes, des activistes de l'environnement. Toutes ces personnes travaillant ensemble, en collaboration, à faire communauté. Et architecture, brisant net avec celle des "auteurs".

Pour briser le dogme et la doxa de la discipline, il faut, selon les Halprin, les mouvements du corps, l'expérience d'une sensorialité renouvelée par l'environnement, et par des expériences qui la rendent perceptible. Les workshops amèneraient donc les participant(es) à mieux intégrer des sensations, émotions, réactions aux espaces et/ou aux mouvements qu'ils ou elles vont produire. Ces sessions de vie en commun définissent ainsi également leur public, qui défait d'ailleurs l'opposition privé/public, comme elle défait les spécialités au sein des catégories professionnelles. Bingo.

Le groupe se constitue en ville (San Francisco) et il en sort pour se mettre au contact...- le mot est lancé: contact-. l'un(e) de l'autre et avec des situations localisées, car elles s'élaborent autour d'un sol. Le sol, apparait ici comme condition nécessaire pour danser et aussi pour construire, c'est à dire dans les deux cas pour élaborer. Ce sol, c'est le "Dance Deck", la plate-forme, comme le pont du bateau-danse, le studio ou l'atelier en extérieur de la maison: ce plancher irrégulier entouré d'arbres qui font également incursion dans l'espace de l'exploration du mouvement. Le Dance Deck est construit sur les pentes du Mont Tamalpais (bonjour, Etel Adnan!) à Kentfield (nous sommes en Californie, dans Marin County). Actif à partir de 1955, il continue d'être le lieu d'où Anna Halprin conduit ses workshops. 

Mais les workshops se déplacent également dans l'espace et stimulent d'autres propositions architecturales. Ici, le Sea Ranch (sur la côte Californienne au Nord de San Francisco) et la Halprin Cabin, situées de façon spectaculaire au-dessus de l'océan Pacifique, répondent au paysage naturel, et conçoivent l'intérieur et l'extérieur de la maison comme des lieux de vie- la Cabin, plutôt pour le couple et le Sea Ranch, pour la communauté. L''environnement et l'éco-système sont pris en compte selon un principe que les Halprin appellent une "préservation dynamique", qui garde au paysage son caractère et sa continuité entre végétation et océan, tout en regroupant les lieux d'habitation derrière des haies et sur la colline (Sea Ranch), pour ne pas endommager le littoral, mais au contraire, l'embrasser.

Le corps, l'environnement. Les deux sont sont les objets de l'expérimentation collective. Exemple: 1966, début des "Experiments in Environnment Workshops" : marches dans la ville de San Francisco, mouvement sur le Dance Deck, et construction d'un village communautaire (Driftwood Village) sur la plage, sans plan préétabli, performatif en somme.
Chacun de ces événements est lié à une partition, a scoreen anglais, qui veut dire la notation, la partition, et dont l'usage qualifie aussi bien la poésie concrète, que des algorythmes mathématiques, que le jeu en équipes, la cartographie urbaine, le design environnemental... Pour les Halprin, "score" veut dire processus et implique une partition et une notation du temps, de l'emploi du temps. Les notations sont à la fois écrites et dessinées au feutre et crayons de couleur et à l'encre. Splendides. La pratique des "scores" va inscrire sa chorégraphie- la chorégraphie, pas la "forme" finie- dans les propositions d'urbanisme de Lawrence Halprin et des plannificateurs urbains prenant au sérieux ces "symbolisations de processus qui s'étendent dans le temps."

Lawrence Halprin utilise d'ailleurs le mot " Ecoscore" pour décrire une notation indiquée par des traits de l'environnement naturel - the cours d'une rivière, par exemple, comme il se déroule à travers un paysage. Et les "Motations" [movement notations] – représentations diagrammatiques de mouvements à travers le temps et l'espace, utlisant la notation musicale comme cadre.
Leçons de Cage, leçons de Dewey. Les arts- leurs mediums, leurs media- entrent ainsi en jeu au moment où le projet moderniste, du moins celui qui est attribué à Clement Greenberg, visant à l'exploration du medium dans sa spécificité et son autonomie particulières, montre son inadéquation et son inadaptation à articuler les problèmes de la vie publique. Visant à "déformater" l'expert ou le spécialiste, cette exposition, ainsi, n'est pas seulement une version nostalgique d'un Romantisme révolutionnaire perdu dans un paysage utopique californien. Il me semble que revisiter les workshops d'Anna et Lawrence Halprin aujourd'hui aiderait, peut-être, à reformuler certaines questions d'actualité.




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